Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/155

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Gabrielle, il faut que je te quitte, ma mère me l’a déclaré ce matin, elle ne me donnera plus d’argent. » — « Ta mère ! que je lui réponds… Eh bien ! tu peux lui dire à ta mère, et de ma part, que le jour où elle quittera ses amants, je te quitterai par la même occase… D’ici là, elle peut se fouiller, ta mère… » C’est-il pas vrai aussi, une vieille saleté comme ça !… Ce que Robert a pouffé !… Dites donc, nous allons à l’Ambigu, ce soir… Y venez-vous ?

— Merci.

— Alors, je me sauve !… Ne vous dérangez pas… Bonjour, Monsieur, bonjour, petite…

Cette Gabrielle Bernier m’irritait beaucoup.

— Pourquoi recevez-vous des femmes comme ça ? disais-je à Juliette.

— Quel mal, mon ami ?… Elle m’amuse.

Les amis de Malterre, eux, parlaient courses, vie élégante, avaient toujours des histoires de cercles et de femmes à raconter, ne tarissaient pas sur les choses de théâtre. Il me semblait que Juliette prenait plaisir, plus que de raison, à ces conversations ; mais je l’excusais, mettant ces complaisances sur le compte de la politesse. Jesselin, un jeune homme très riche, dont on vantait le sérieux, était le boute-en-train de la bande et tous s’inclinaient devant son évidente supériorité : « Qu’en pensera Jesselin ? Il faut demander à Jesselin… Ce n’est pas l’avis de Jesselin… » On le courtisait fort. Jesselin avait beaucoup voyagé et connaissait mieux que personne les meilleurs hôtels du