Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/169

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prenait dans des fibres inconnues de moi, jusqu’ici… Pourtant, je me repentais d’avoir cédé, avec tant de légèreté et si vite, à un entraînement, gros de conséquences fâcheuses, peut-être, pour elle et pour moi ; j’étais mécontent de n’avoir pas su résister au désir qu’avait exprimé Juliette, d’une si caressante façon, de cette vie en commun… N’aurions-nous pu nous aimer, aussi bien, elle chez elle, moi chez moi ; éviter les froissements possibles de cette situation qu’on appelle d’un mot ignoble : le collage ?… Et tandis que l’éclat de toutes ces peluches, l’insolence de tous ces ors dans lesquels nous allions vivre, m’effrayaient, j’éprouvais pour mes pauvres meubles de pitchpin dispersés, pour mon petit appartement austère et tranquille, aujourd’hui vide, la tendresse douloureuse qu’on a pour les choses aimées et qui sont mortes. Mais Juliette passait, affairée, agile et charmante, m’embrassait au vol d’un baiser doux, et puis, il y avait en elle une joie si vive, traversée d’étonnements, de désespoirs si naïfs, à propos d’un objet qu’elle ne retrouvait pas, que mes pensées moroses s’en allaient, comme aux premiers rayons du soleil s’en vont les nocturnes hiboux.

Ah ! les bonnes journées qui suivirent le départ de la rue Saint-Pétersbourg !… Il fallut, d’abord, tout de suite, visiter chaque pièce en détail. Juliette s’asseyait sur les divans, les fauteuils et les canapés, en faisant craquer les ressorts qui étaient souples et moelleux.