Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/172

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— Il y a bien longtemps que tu n’es allé chez M. Lirat… Je ne voudrais pas qu’il pût croire que c’est moi qui t’empêche de le voir.

C’était vrai, pourtant ! Depuis plus de cinq mois, je l’oubliais, ce pauvre Lirat !… L’oubliais-je ?… Hélas ! non… La honte me retenait… La honte seule m’éloignait de lui… J’aurais, je vous assure, crié à la terre tout entière : « Je suis l’amant de Juliette ! » mais prononcer ce nom devant Lirat, je n’osais pas !… D’abord, j’avais pensé à lui tout confier, au risque de ce qu’il en résulterait de fâcheux pour notre amitié… Je m’étais dit : « Voyons, demain, j’irai chez Lirat… » Je m’affermissais même dans cette résolution… Et le lendemain : « Non, pas encore… rien ne presse… demain ! » Demain, toujours demain !… Et les jours, les semaines, les mois s’écoulaient… Demain !… Maintenant qu’il avait été tenu au courant de ces choses par Malterre, qui, avant de partir, était revenu faire gémir son divan, comment l’aborder ?… Que lui dire ?… Comment supporter son regard, ses mépris, ses colères… Ses colères, oui !… Mais ses mépris, mais ses silences terribles, mais le ricanement déconcertant que je voyais déjà se tordre au coin de ses lèvres ?… Non, en vérité, je n’osais pas !… L’attendrir, lui prendre la main, lui demander pardon de mon manque de confiance, faire appel à toutes les générosités de son cœur !… non !… Je jouerais mal ce rôle, et puis, d’un mot, Lirat me glacerait, arrêterait l’effusion… Eh bien ! chaque jour qui