Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/183

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joue, elle se dégagea de mes bras, et, un peu fâchée, me dit :

— Comment ! j’ai été la plus belle de toutes, de toutes !… et tu n’es pas content ?… Et tu pleures ?… Ce n’est pas gentil !… Qu’est-ce qu’il te faut, alors ?

Notre première fâcherie eut lieu à propos des amis de Juliette. Gabrielle Bernier, Jesselin et quelques autres personnages amenés par Malterre, jadis, rue de Saint-Pétersbourg, revenaient, sans que je les en eusse priés, nous poursuivre, rue de Balzac… Et cela ne me convenait pas, j’entendais séparer ma maîtresse de tout son passé. Je le déclarai nettement à Juliette, qui parut d’abord très étonnée.

— Qu’as-tu contre M. Jesselin ? me demanda-t-elle.

Elle appelait les autres par leur petit nom… Mais elle disait Monsieur Jesselin avec un grand respect.

— Je n’ai rien contre lui, positivement, ma chérie… Il me déplaît, il m’agace… il est absurde… Voilà, je pense, de bonnes raisons pour ne point désirer voir cet imbécile…

Juliette fut fort scandalisée… Que j’aie pu traiter d’imbécile un homme de l’importance et de la réputation de M. Jesselin, cela ne lui entrait pas dans la tête. Elle me regardait avec effroi, comme si je venais de proférer un abominable blasphème.

— Imbécile, M. Jesselin !… Lui, un homme si comme il faut, si sérieux !… qui est allé dans les Indes !… Mais tu ne sais donc pas qu’il est de la Société de Géographie ?