Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/186

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des intonations plus caressantes, se faisait plus douce, plus suppliante.

— Juliette ! ma Juliette !… Parle-moi, je t’en prie !… Parle-moi !… Je t’ai fait de la peine, j’ai été trop dur ?… c’est vrai… Je me repens, je te demande pardon… Mais parle-moi.

On eût dit que Juliette ne m’entendait pas. Elle coupait les feuillets de son livre, et le sifflement du couteau sur le papier m’agaçait horriblement.

— Ma Juliette !… Comprends-moi… C’est parce que je t’aime que je t’ai dit cela… C’est parce que je te veux si pure, si respectée !… Et qu’il me semble que ces gens sont indignes de toi… Si je ne t’aimais pas, que m’importerait ?… Et puis, tu crois que je ne veux pas que tu sortes !… Mais non… Nous sortirons souvent, tous les soirs… Ah ! ne sois pas ainsi !… J’ai eu tort !… Gronde-moi, bats-moi… Mais parle, parle donc !…

Elle continuait de tourner les pages du livre… Les mots s’étranglaient dans ma gorge :

— C’est mal, Juliette, ce que tu fais là… Je t’assure que c’est mal d’être comme tu es… Puisque je me repens !… Ah ! quel plaisir éprouves-tu donc à me torturer de la sorte ?… Puisque je me repens !… Voyons, Juliette, puisque je me repens !…

Aucun muscle de son corps ne tressaillait à mes prières. Sa nuque surtout m’exaspérait. Entre des mèches de cheveux follets, j’y voyais maintenant une tête de bête ironique, des yeux qui me raillaient, une bouche qui me tirait la langue. Et j’eus la tentation