Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fond desquels j’aurais disparu… je m’efforçais de dormir… Et, tout d’un coup, haletant, la sueur au front, les yeux hagards, je me collais à Juliette, l’étreignais de toutes mes forces, sanglotant.

— Tu ne me quitteras jamais, ma Juliette !… dis, dis que tu ne me quitteras jamais… Parce que, vois-tu, j’en mourrais… j’en deviendrais fou… je me tuerais !… Juliette, je te jure que je me tuerais !

— Mais, qu’est-ce qui te prend ?… Pourquoi trembles-tu ? Non, mon chéri, je ne te quitterai pas… Ne sommes-nous pas heureux ainsi ?… Et puis, je t’aime tant !… quand tu es bien gentil, comme maintenant !

— Oui, oui, je me tuerais !… je me tuerais !…

— Es-tu drôle, mon chéri !… Pourquoi me dis-tu cela ?…

— Parce que…

J’allais tout lui révéler… Je n’osai pas. Et je repris :

— Parce que je t’aime !… parce que je ne veux pas que tu me quittes… parce que je ne veux pas !…

Il fallut bien, cependant, en arriver à cette confidence… Juliette avait vu, à la vitrine d’un bijoutier de la rue de la Paix, un collier de perles dont elle parlait sans cesse. Un jour que nous nous trouvions dans le quartier :

— Viens voir le beau bijou, me dit-elle.

Et le nez contre la glace, les yeux luisants, longtemps elle contempla le collier qui arrondissait, sur le velours grenat de l’écrin, son triple rang de perles roses. Je sentais des frissons lui courir sur la peau.