Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/214

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pierre pareils à de vieilles tombes… Dans le potager, Félix binait une plate-bande… Ah ! comme il était cassé, le pauvre homme !

Il me montra une épine blanche, et me dit :

— C’est là que vous veniez avec défunt vot’ pauv’ père, pour guetter le merle… Vous rappelez-vous ben, monsieur Jean ?

— Oui, oui, Félix.

— Et pis la grive, itou, dame !

— Oui, oui, Félix…

Je m’éloignai. Je ne pouvais supporter la vue de ce vieillard, qui pensait mourir au Prieuré, et que j’allais chasser, et qui s’en irait où ?… Il nous avait servis avec fidélité, il était presque de la famille, pauvre, incapable de gagner sa vie désormais… Et j’allais le chasser !… Ah ! comment ai-je fait cela ?

Au déjeuner, Marie me parut nerveuse. Elle tournait autour de ma chaise avec une agitation inaccoutumée.

— Faites excuse, monsieur Jean, me dit-elle enfin… Faut que j’en aie le cœur net… C’est-y vrai que vous vendez le Prieuré ?…

— Oui, Marie.

La vieille fille écarquilla les yeux, stupéfaite, et posant ses deux mains sur la table, elle répéta :

— Vous vendez le Prieuré ?

— Oui, Marie.

— Le Prieuré où toute votre famille est née… Le Prieuré où votre père et votre mère sont morts ?… Le Prieuré, Seigneur Jésus !