Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/218

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voir. Oh ! je ne serai pas longtemps… Une heure à peine…

Juliette parle très naturellement… Et je ne sais pas pourquoi, je pense qu’elle ment, qu’elle ne va pas chez Gabrielle… et je suis mordu au cœur par un soupçon, vague, affreux… Je lui dis :

— Ne pourrais-tu attendre demain ?

— Oh ! c’est impossible !… Tu comprends, j’ai promis !

— Je t’en prie !… demain…

— C’est impossible !… Cette pauvre Gabrielle !

— Eh bien !… Je vais avec toi… Je resterai à la porte, je t’attendrai !

Sournoisement, je l’examine… Son visage n’a pas frémi… Non, en vérité, elle n’a pas eu la moindre surprise des nerfs. Elle répond avec douceur :

— Ça n’est pas raisonnable !… Tu es fatigué, mon chéri… Couche-toi !

Déjà j’ai vu glisser, comme une couleuvre, la traîne de sa robe, derrière la portière retombée… Juliette est dans son cabinet de toilette… Et moi, les yeux obstinément fixés sur la nappe, où danse le reflet rouge d’une bouteille de vin, je réfléchis que, dans ces temps derniers, des femmes sont venues ici, des femmes grasses, louches, des femmes qui avaient l’air de chiennes, flairant des ordures… J’ai demandé à Juliette : « Qui sont ces femmes ? » Juliette m’a répondu, une fois : « C’est la corsetière », une autre fois : « C’est la brodeuse… » Et je l’ai cru !… Un jour,