Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/227

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suis pas méchante, pourtant, et je t’aime… Je t’aime plus encore que je ne t’ai jamais aimé !… Mon Jean adoré, tu es fort, toi ; tu sais de belles choses que j’ignore… Eh bien, défends-moi !… Un désir plus impérieux que ma volonté m’attire là-bas… C’est que j’ai vu des bijoux, des robes, des riens charmants et très chers que tu ne peux plus me donner, et qu’on m’a promis tout cela !… J’ai l’instinct que c’est mal et que tu en auras de la peine… Eh bien, dompte-moi !… Je ne demande pas mieux que d’être bonne et vertueuse… Apprends-moi… Si je te résiste… bats-moi. » Pauvre Juliette !… Il me semble qu’elle est près de moi, agenouillée, les mains jointes… Les larmes coulent de ses yeux, de ses grands yeux humiliés et doux, les larmes coulent sans cesse, comme, autrefois, elles coulaient des yeux de ma mère… Et, à la pensée que j’ai voulu la tuer, que j’ai voulu, par des mutilations horribles, défigurer ce visage délicieux et repentant, des remords m’assaillent, la colère s’évanouit dans la pitié… Elle continue : « Pardonne-moi !… Oh ! mon Jean, tu dois me pardonner… Ce n’est pas de ma faute, je t’assure… Réfléchis… M’as-tu avertie, une seule fois ?… Une seule fois, m’as-tu montré le chemin que je devais suivre… Par mollesse, par crainte de me perdre, par une complaisance exagérée et criminelle, tu t’es courbé à tous mes caprices, même les plus mauvais… Comment était-il possible que je comprisse que cela était mal, puisque tu ne me disais rien… Au lieu de m’arrêter sur les bords de l’abîme où je courais, c’est toi-