Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/244

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lourd, de cette allure passive des bêtes que l’on conduit à l’abattoir…

— Eh bien, et votre chapeau ?

C’est vrai ! je sortais sans chapeau… Il ne me semblait pas que j’abandonnais, que je laissais derrière moi une partie de moi-même ; que les choses que je voyais, au milieu desquelles j’avais vécu, mouraient l’une après l’autre, à mesure que je passais devant elles…

Le train partait à huit heures, le soir… Lirat ne me quitta pas du reste de la journée. Voulant, sans doute, occuper mon esprit et tenir en haleine ma volonté, il me parlait en faisant de grands gestes ; mais je n’entendais rien qu’un bruit confus, agaçant, qui bourdonnait à mes oreilles, comme un vol de mouches… Nous dinâmes dans un restaurant, près de la gare Montparnasse. Lirat continuait de parler, m’abrutissant de gestes et de mots, traçant sur la table, avec son couteau, des lignes géographiques et bizarres.

— Vous voyez bien, c’est là !… Alors vous suivrez la côte, et…

Il me donnait, je crois bien, des explications relatives à mon voyage, à mon exil, là-bas… citait des noms de village, de personnes… Ce mot : la mer, revenait sans cesse, avec des froissements de galets que la vague remue.

— Vous vous rappellerez ?

Et, sans savoir exactement de quoi il était question, je répondais :