Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/259

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tirs ; je voyais, sur le papier, des traces encore humides de larmes, car, en ces moments-là, je me figurais que Juliette passait son temps à pleurer… Hélas ! rien : quelquefois une lettre de Lirat, admirable, paternelle, et qui m’ennuyait… Le cœur gros, sentant davantage le poids écrasant de mon abandon, l’esprit sollicité par mille projets, plus fous les uns que les autres, je m’en retournais à ma dune… De cette espérance courte, je retombais dans une douleur plus aiguë, et la journée s’écoulait à invoquer Juliette, à l’appeler, à la demander aux pâles fleurs des sables, à l’écume des vagues, à toute la nature insensible qui me la refusait et qui me renvoyait son image incomplète, effacée par les baisers de tous !

— Juliette ! Juliette !


Un jour, sur la jetée, je rencontrai une jeune fille qu’un vieux monsieur accompagnait. Grande, svelte, elle semblait jolie sous le voile de gaze blanche qui lui couvrait le visage et dont les bouts, noués derrière le chapeau de feutre gris, flottaient dans le vent. Ses mouvements souples et gracieux rappelaient ceux de Juliette. Vraiment, dans le port de la tête, dans la courbure délicate de la taille, dans la tombée des bras, dans le balancement aérien de la robe, je retrouvais un peu de Juliette !… Je la regardai avec émotion, et deux larmes roulèrent sur ma joue… Elle alla jusqu’à l’extrémité du môle ; moi, je m’étais assis sur le parapet, suivant la silhouette de la jeune fille, pensif et