Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des sabots sur les dalles et du chuchotement des lèvres pieuses, tandis que l’encens des encensoirs montait vers la voûte, avec la voix grêle des enfants de chœur, tandis que la jeune fille priait, comme eût prié Juliette, si Juliette avait prié, je rêvais… J’étais dans un parc, et la jeune fille s’avançait vers moi, toute baignée de lune. Elle me prenait par la main, et nous marchions sur les pelouses, et sous les arbres qui chantaient.

— Jean, me disait-elle, vous souffrez et je viens à vous… J’ai demandé à Dieu si je pouvais vous aimer, Dieu me l’a permis… Je t’aime !

— Vous êtes trop belle, trop pure, trop sainte pour m’aimer !… Il ne faut pas m’aimer !

— Je t’aime !… Penche ton bras sur le mien… Appuie ta tête sur mon épaule, et allons ainsi toujours !…

— Non, non ! Est-ce que l’hirondelle peut aimer le hibou ?… Est-ce que la colombe qui vole dans le ciel peut aimer le crapaud qui se cache dans la bourbe des eaux croupies ?

— Tu n’es pas le hibou, et tu n’es pas le crapaud, puisque je t’ai choisi… L’amour que Dieu permet efface tous les péchés et console de toutes les douleurs… Viens avec moi et je te rendrai ta pureté… Viens avec moi et je te donnerai le bonheur.

— Non ! non !… mon cœur est gangrené, et mes lèvres ont bu le poison qui tue les âmes, le poison qui damne les vierges comme toi… Ne t’approche pas ainsi, je te flétrirais ; ne me regarde pas ainsi, mes yeux te saliraient, et tu serais pareille à Juliette !…