Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/271

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Je m’étais levé, et Juliette furetait dans la chambre, s’exclamait à chaque instant :

— Mais c’est gentil ici… C’est drôle tout plein, mon chéri… Et puis, tu as un lit, un vrai lit… Moi qui croyais qu’on couchait dans des armoires, en Bretagne… Ah !… qu’est-ce que c’est que ça ?… Ne bouge pas, Jean, ne bouge pas.

Elle avait pris sur la cheminée un gros coquillage, l’appliquait contre son oreille.

— Tiens ! disait-elle désappointée… Tiens ! ça ne fait pas : chuuu ! dans tes coquillages !… Pourquoi, dis ?

Puis brusquement, elle se jetait dans mes bras, me couvrait de baisers.

— Ah ! ta barbe !… Ah ! tu laisses pousser ta barbe, vilain !… Et comme tes cheveux sont longs ! Et comme tu as maigri ! Est-ce que je suis changée, moi ?… Est-ce que je suis belle autant ?

Nouant ses mains autour de mon cou, penchant sa tête sur mon épaule :

— Raconte ce que tu fais ici, comment tu passes tes journées, à quoi tu penses… Raconte à ta petite femme… Et ne mens pas… Dis-lui bien tout, tout, tout !…

Alors, je lui parlai de mes marches acharnées, de mes abattements sur la dune, de mes sanglots, d’elle que je voyais sans cesse, d’elle que j’appelais, comme un fou, dans le vent, dans la tempête…

— Pauvre petit ! soupirait-t-elle… Et je parie que tu n’as pas même un caoutchouc ?…