Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/281

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frôle, des pensées de crime me viennent, m’obsèdent, me talonnent et je crie :

— Allez-vous-en !… mère Le Gannec, allez-vous-en !

Fou !… Oui, je suis fou !… Souvent la nuit j’ai passé des heures à la porte de sa chambre, la main sur la clef de la serrure, prêt à me précipiter dans l’ombre… Je ne sais ce qui m’a retenu… La peur, sans doute ; car je me disais : « Elle se débattra, criera, appellera, et je serai forcé de la tuer !… » Une fois, surprise par le bruit, elle s’est levée… Me voyant en chemise, les jambes nues, elle est restée un moment stupéfaite.

— Comment !… c’est vous, nostre Mintié !… Qu’est-ce que vous faites ici ?… Êtes-vous malade ?

J’ai balbutié des mots incohérents, et je suis remonté…

Ah ! que l’on me chasse, que l’on me traque, que l’on me poursuive avec des fourches, des pieux et des faux, comme on fait d’un chien enragé !… Est-ce que des hommes n’entreront pas, là, tout à l’heure, qui se jetteront sur moi, me bâillonneront et m’emporteront dans l’éternelle nuit du cabanon !

Il faut que je parte !… Il faut que je retrouve Juliette !… Il faut que j’épuise sur elle cette rage maudite !…

Quand l’aube paraîtra, je descendrai, et je dirai à la mère Le Gannec :

— Mère Le Gannec, il faut que je parte !… Donnez-moi de l’argent… Je vous le rendrai plus tard… Donnez-moi de l’argent… il faut que je parte !…