Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aurait pitié de moi, je t’assure… Oui, une pauvre bête aurait pitié !

Je lui pressais les mains, j’embrassais sa robe…

— Ma Juliette !… je ne t’ai pas tuée… j’en avais le droit pourtant, je te le jure… je ne t’ai pas tuée !… Tu devrais me tenir compte de cela… C’est de l’héroïsme, car tu ignores, toi, ce qu’un homme qui souffre et qui est seul, toujours, peut concevoir de choses terribles et vengeresses… Je ne t’ai pas tuée !… J’espérais, j’espère encore !… Reviens à moi… j’oublierai tout, j’effacerai tout, mes douleurs et nos hontes… tu seras pour moi la plus pure, la plus radieuse des vierges… Nous nous en irons très loin… où tu voudras… Je t’épouserai !… Tu ne veux pas ?… Ce que je te dis, tu crois que c’est pour t’avoir à moi, davantage ? Jure que tu changeras d’existence, ou je me tue là, devant toi !… Écoute, je t’ai tout sacrifié, moi !… Je ne parle pas de ma fortune… mais ce qui faisait autrefois la fierté de ma vie, mon honneur d’homme, mes rêves d’artiste, j’ai tout abandonné, sans un regret, pour toi… Tu peux bien me sacrifier quelque chose à ton tour… Et qu’est-ce que je te demande ? Rien… la joie d’être honnête et bonne… Se dévouer, ma Juliette, se dévouer, mais, c’est si grand, si noble !… Ah ! si tu connaissais la volupté du sacrifice ?… Tiens !… Malterre, il est riche, lui… C’est un brave garçon, meilleur que les autres, il t’a aimée !… J’irai chez lui, je lui dirai : « Vous seul pouvez sauver Juliette, la retirer du monde où elle vit… Revenez à elle… et ne