Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/311

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— Vous voyez, Monsieur, on m’appelle !

— Eh bien !… Célestine, dites-lui que si, à six heures, elle n’est pas venue chez moi ; si elle ne m’a pas écrit à six heures, dites-lui que je me tue !… À six heures, Célestine !… N’oubliez pas… dites-lui que je me tue !

— Bien, Monsieur !

Et la porte se referma sur moi, avec un bruit de chaîne balancée.

L’idée me vint d’aller voir Gabrielle Bernier, de lui conter mes malheurs, de lui demander conseil, de l’employer à une réconciliation. Gabrielle finissait de déjeuner avec une amie, petite femme maigre, noire, à museau pointu de rongeur et qui, quand elle parlait, semblait toujours grignoter des noisettes. En matinée de foulard blanc, sale et fripée, les cheveux retenus sur le haut de la tête par un peigne mis de travers, les coudes sur la table, Gabrielle fumait une cigarette et sirotait un verre de chartreuse.

— Tiens, Jean !… Vous êtes donc revenu ?

Elle me fit passer dans son cabinet de toilette, très en désordre. Aux premiers mots que je dis de Juliette, Gabrielle s’écria :

— Comment !… Vous ne savez pas ?… Mais nous sommes fâchées depuis un mois… depuis qu’elle m’a chipé un consul, mon cher, un consul d’Amérique, qui me donnait cinq mille par mois !… Oui, elle me l’a chipé, cette peau-là !… Eh bien, et vous ?… Vous l’avez lâchée d’un cran, j’espère ?