Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/34

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J’implorai, avec ferveur, la belle image de la Vierge, à laquelle, tous les soirs, avant de me coucher, j’adressais ma prière : « Sainte Vierge, accordez une bonne santé et une longue vie à ma mère chérie. » Mais, le matin, mon père, silencieux et tout pâle, avait reconduit le médecin jusqu’à la grille ; et tous deux avaient une figure si grave qu’il était facile de voir qu’une chose irréparable s’était accomplie. Et puis les domestiques pleuraient. Et de quoi eussent-ils pleuré, sinon d’avoir perdu leur maîtresse ? Et puis le curé ne venait-il pas de me dire : « Pauvre petit diable ! » d’un ton d’irrémédiable pitié ? Et de quoi m’eût-il plaint de la sorte, sinon d’avoir perdu ma mère ? Je me souviens, comme si c’était hier, des moindres détails de l’affreuse journée. De la chambre, où j’étais enfermé avec la vieille Marie, j’avais entendu des allées et venues, des bruits inaccoutumés, et, le front contre la vitre, à travers les persiennes fermées, je regardais les pauvresses s’accroupir sur la pelouse et marmotter des oraisons, un cierge à la main ; je regardais les gens entrer dans la cour, les hommes en habit sombre, les femmes long voilées de noir : « Ah ! voilà M. Bacoup !… Tiens, c’est Mme Provost. » Je remarquai que tous avaient des figures désolées, tandis que, près de la grille grande ouverte, des enfants de chœur, des chantres embarrassés dans leurs chapes noires, des frères de charité avec leurs dalmatiques rouges, dont l’un portait une bannière et l’autre la lourde croix d’argent, riaient en dessous, s’amusaient à se bourrer