Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/65

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étaient allés rôder dans la campagne, autour des fermes. Ils rentrèrent gaîment, chargés de bottes de paille, de poulets, de dindes, de canards. L’un poussait devant lui, à coups de gaule, un gros cochon qui grognait, l’autre balançait un mouton sur ses épaules ; celui-ci traînait au bout d’une hart, tordue en corde, un veau qui résistait comiquement, secouait son mufle en meuglant. Les paysans accoururent au camp pour se plaindre d’avoir été volés : on les hua et on les chassa.

Le général, accompagné de notre lieutenant-colonel qui se tenait à sa droite, très raide, l’œil rond, vint nous passer en revue, l’après-midi. Son regard luisant, son teint de braise, sa voix pâteuse disaient qu’il avait copieusement déjeuné. Il mâchonnait un bout de cigare éteint, crachait, s’ébrouait, maugréait on ne savait contre qui et contre quoi, car il ne s’adressait à personne, directement. Devant notre compagnie, il regarda le lieutenant-colonel d’un air sévère, et je l’entendis qui grommelait :

— Sales gueules, vos hommes, ah ! bougre !

Puis, il s’éloigna, pesant de tout le poids de son ventre, sur ses jambes courtes, chaussées de bottes jaunes, au-dessus desquelles la culotte rouge bouffait et plissait comme une jupe.

Le reste de la journée fut consacré à des flâneries dans les auberges de Bellomer. Il y avait partout un tel encombrement, un tel tapage ; d’ailleurs, je connaissais trop bien ces prises d’assaut des cabarets, ces