Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/69

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eût répondu : « Présent ! » à l’appel de son nom :

— Formez le cercle, arche ! commanda le petit lieutenant.

Et d’une voix ânonnante, brouillant les mots, sautant des phrases, le fourrier lut un pompeux « ordre du jour » du général. Il était dit, en ce morceau de littérature militaire, qu’un corps d’armée prussien, affamé, mal vêtu, sans armes, après avoir occupé Chartres, s’avançait sur nous, à marches forcées. Il fallait lui barrer la route, le refouler jusque sous les murs de Paris où le vaillant Ducrot n’attendait plus que nous pour sortir et balayer une bonne fois tous les envahisseurs. Le général rappelait les victoires de la Révolution, l’expédition d’Égypte, Austerlitz, Borodino. Il affirmait que nous saurions nous montrer dignes de nos glorieux ancêtres de Sambre-et-Meuse. En conséquence, il donnait des instructions stratégiques précises pour la défense du pays : établir une barricade infranchissable à l’entrée Est du bourg, une autre plus infranchissable encore sur la route de Chartres, en avant du carrefour, créneler les murs du cimetière, abattre le plus d’arbres qu’on pourrait dans la forêt, de façon que les cavaliers ennemis et même les fantassins fussent dans l’impossibilité de nous tourner par Senonches, en s’égaillant dans les futaies ; se défier des espions ; enfin, ouvrir l’œil et le bon… La patrie comptait sur nous… Vive la République !

Ce cri resta sans écho. Le petit lieutenant qui se promenait en rond, les mains croisées derrière le dos,