Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/154

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vérité, car j’étais sans résistance et sans force, et je me sentais emporté dans ce tumulte humain aussi facilement que l’arbre mort roulé dans les eaux furieuses d’un torrent… Clara, elle, se jetait au plus fort de la mêlée. Elle subissait le brutal contact et, pour ainsi dire, le viol de cette foule, avec un plaisir passionné… Un moment, elle s’écria, glorieusement :

— Vois, chéri… ma robe est toute déchirée… C’est délicieux !

Nous eûmes beaucoup de peine à nous frayer un passage jusqu’aux boutiques encombrées, assiégées, comme pour un pillage.

— Regardez et choisissez !… Nulle part, vous n’en trouverez de meilleure.

— Ici… ici… par ici !… Venez par ici !…

Clara prit l’amour de petite fourche des mains du boy qui nous suivait avec son amour de panier, et elle piqua dans les bassines.

— Pique aussi, toi !… pique, cher amour !…

Je crus que le cœur allait me manquer, à cause de l’épouvantable odeur de charnier qui s’exhalait de ces boutiques, de ces bassines remuées, de toute cette foule, se ruant