Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/17

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dedans », comme il disait. Tromper sur la qualité de la marchandise et sur le poids, faire payer deux francs ce qui lui coûtait deux sous, et, quand il pouvait, sans trop d’esclandre, le faire payer deux fois, tels étaient ses principes. Il ne livrait jamais, par exemple, de l’avoine, qu’il ne l’eût, au préalable, trempée d’eau. De la sorte, les grains gonflés rendaient le double au litre et au kilo, surtout quand ils étaient additionnés de menu gravier, opération que mon père pratiquait toujours en conscience. Il savait aussi répartir judicieusement, dans les sacs, les graines de nielle et autres semences vénéneuses, rejetées par les vannages, et personne, mieux que lui, ne dissimulait les farines fermentées, parmi les fraîches. Car il ne faut rien perdre dans le commerce, et tout y fait poids. Ma mère, plus âpre encore aux mauvais gains, l’aidait de ses ingéniosités déprédatrices et, raide, méfiante, tenait la caisse, comme on monte la garde devant l’ennemi.

Républicain strict, patriote fougueux — il fournissait le régiment — moraliste intolérant, honnête homme enfin, au sens populaire de ce mot, mon père se montrait sans