Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur de massives chaussures de roulier… Ce costume revêche de prédicant s’accompagnait d’une ombrelle blanche, sorte de punka portatif et dérisoire, unique concession faite par le cuistre aux mœurs locales et au soleil de l’Inde que les Anglais n’ont pu, jusqu’ici, transformer en brouillard de suie. Et je songeai, non sans irritation, qu’on ne peut faire un pas, de l’équateur au pôle, sans se heurter à cette face louche, à ces yeux rapaces, à ces mains crochues, à cette bouche immonde qui, sur les divinités charmantes et les mythes adorables des religions-enfants, va soufflant, avec l’odeur du gin cuvé, l’effroi des versets de la Bible.

Elle s’anima. Ses yeux exprimaient une haine généreuse que je ne leur connaissais pas. Oubliant ce lieu où nous étions, ses enthousiasmes criminels de tout à l’heure et ses exaltations sanglantes, elle dit :

— Partout où il y a du sang versé à légitimer, des pirateries à consacrer, des violations à bénir, de hideux commerces à protéger, on est sûr de le voir, ce Tartufe britannique, poursuivre, sous prétexte de prosélytisme religieux ou d’étude scientifique, l’œuvre de la conquête abominable. Son ombre astu-