Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/292

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Accoudée à la rampe du pont, le front barré, les yeux fixes, Clara regarde l’eau. Un reflet du soleil couchant embrase sa nuque… Sa chair s’est détendue et sa bouche est plus mince. Elle est grave et très triste. Elle regarde l’eau, mais son regard va plus loin et plus profond que l’eau ; il va, peut-être, vers quelque chose de plus impénétrable et de plus noir que le fond de cette eau ; il va, peut-être, vers son âme, vers le gouffre de son âme qui, dans les remous de flammes et de sang, roule les fleurs monstrueuses de son désir… Que regarde-t-elle, vraiment ?… À quoi songe-t-elle ? Je ne sais pas… Elle ne regarde peut-être rien… elle ne songe peut-être à rien… Un peu lasse, les nerfs brisés, meurtrie sous les coups de fouet de trop de péchés, elle se tait, voilà toutes… À moins que, par un dernier effort de sa cérébralité, elle ne ramasse tous les souvenirs et toutes les images de cette journée d’horreur, pour en offrir un bouquet de fleurs rouges à son sexe ?… Je ne sais pas…

Je n’ose plus lui parler. Elle me fait peur, et elle me trouble aussi jusqu’au tréfonds de moi-même, par son immobilité, et par son silence. Existe-t-elle réellement ?… Je me le