Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/315

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Elle lui mouilla les tempes d’un parfum violent, lui fit respirer des sels.

— Oui, oui !… chère petite âme… vous êtes évanouie… et vous ne m’entendez pas !… Et vous ne sentez pas la douceur de mes doigts… mais votre cœur bat, bat, bat… Et l’amour galope en vos veines, comme un jeune cheval… l’amour bondit en vos veines comme un jeune tigre.

Elle se tourna vers moi.

— Il ne faut pas être triste… parce qu’elle est toujours évanouie, quand elle vient ici… Dans quelques minutes, nous crierons de plaisir dans sa chair heureuse et brûlante…

Et j’étais là, inerte, silencieux, les membres de plomb, la poitrine oppressée ainsi qu’il arrive dans les cauchemars… Je n’avais plus la sensation du réel… Tout ce que je voyais — images tronquées surgissant de l’ombre environnante, de l’abîme du fleuve, et y rentrant pour en ressurgir bientôt, avec des déformations fantastiques — m’effarait… La longue terrasse, suspendue dans la nuit, avec ses balustres laqués de rouge, ses fines colonnettes, supportant le hardi retroussement du toit, ses guirlandes de lanternes alternant avec des guirlandes de fleurs, était