Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/76

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pas plus qu’à leurs costumes et partageaient leur temps entre des promenades silencieuses sur le pont et des parties de cartes ou de dés dans leurs cabines.

Nous ne nous intéressions à rien. Rien, du reste, ne nous distrayait du supplice de nous sentir cuire avec une lenteur et une régularité de pot-au-feu. Le paquebot naviguait au milieu du golfe : au-dessus de nous, autour de nous, rien que le bleu du ciel et le bleu de la mer, un bleu sombre, un bleu de métal chauffé qui, çà et là, garde à sa surface les incandescences de la forge ; à peine si nous distinguions les côtes somalies, la masse rouge, lointaine, en quelque sorte vaporisée, de ces montagnes de sable ardent, où pas un arbre, pas une herbe ne poussent, et qui enserrent comme d’un brasier, sans cesse en feu, cette mer sinistre, semblable à un immense réservoir d’eau bouillante.

Je dois dire que, durant cette traversée, je fis preuve d’un grand courage et que je réussis à ne rien montrer de mon réel état de souffrance… J’y parvins par la fatuité et par l’amour.

Le hasard — est-ce bien le hasard ou le capitaine ? — m’avait donné miss Clara pour