Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/108

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moments-là, on ne lui fait pas de scènes… Loin de Madame, il n’est plus le même. Sa figure s’éclaire, son œil luit… Son caractère, naturellement gai, reprend le dessus… Vraiment, il n’est pas désagréable… À la maison, par exemple, il ne me parle presque plus et, tout en suivant son idée, semble ne pas faire attention à moi… Mais, dehors, il ne manque jamais de m’adresser un petit mot gentil, après s’être bien assuré, toutefois, que Madame ne peut l’épier… Lorsqu’il n’ose pas me parler, il me regarde… et son regard est plus éloquent que ses paroles… D’ailleurs, je m’amuse à l’exciter de toutes les manières… et, bien que je n’aie pris à son égard aucune résolution, à lui monter la tête sérieusement…

En passant près de lui, dans l’allée où il travaillait, penché sur ses dahlias, des brins de raphia aux dents, je lui dis, sans ralentir le pas :

— Oh ! comme Monsieur travaille, ce matin !

— Hé oui ! répondit-il… ces sacrés dahlias !… Vous voyez bien…

Il m’invita à m’arrêter un instant.

— Eh bien, Célestine ?… J’espère que vous vous habituez ici, maintenant ?

Toujours sa manie !… Toujours sa même difficulté d’engager la conversation !… Pour lui faire plaisir, je répliquai en souriant :

— Mais oui, Monsieur… certainement… je m’habitue.