Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/110

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tout ce feu une bonne douche d’eau glacée. Je dis, d’un ton très sec, et, en même temps, très noble :

— Monsieur se trompe… Monsieur croit parler à ses autres femmes de chambre… Monsieur doit savoir pourtant que je suis une honnête fille…

Très digne, pour bien marquer à quel point j’avais été offensée de cet outrage, j’ajoutai :

— Monsieur mériterait que j’aille tout de suite me plaindre à Madame…

Et je fis mine de partir… Vivement, Monsieur m’empoigna le bras…

— Non… non !… balbutia-t-il…

Comment ai-je pu dire tout cela, sans pouffer ?… Comment ai-je pu renfoncer dans ma gorge le rire qui y sonnait, à pleins grelots ?… En vérité, je n’en sais rien…

Monsieur était prodigieusement ridicule… Livide, maintenant, la bouche grande ouverte, une double expression d’embêtement et de peur sur toute sa personne, il demeurait silencieux et se grattait la nuque à petits coups d’ongle.

Près de nous, un vieux poirier tordait sa pyramide de branches, mangées de lichens et de mousses… quelques poires y pendaient à portée de la main… Une pie jacassait, ironiquement, au haut d’un châtaigner voisin… Tapi derrière la bordure de buis, le chat giflait un bourdon… Le silence devenait de plus en plus pénible, pour Monsieur… Enfin, après des efforts presque douloureux, des efforts qui amenaient sur ses lèvres