Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/121

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— Ah !… le bon Kléber !… Ah !… le charmant petit Kléber !…

Il se tourna vers moi :

— Avez-vous jamais vu un furet aussi bien apprivoisé ?… Il me suit dans le jardin, partout, comme un petit chien… Je n’ai qu’à l’appeler… et il est là, tout de suite, la queue frétillante, la tête levée… Il mange avec nous… couche avec nous… C’est une petite bête que j’aime, ma foi, autant qu’une personne…. Tenez, mademoiselle Célestine, j’en ai refusé trois cents francs… Je ne le donnerais pas pour mille francs… pour deux mille francs… Ici, Kléber…

L’animal leva la tête vers son maître ; puis, il grimpa sur lui, escalada ses épaules et, après mille caresses et mille gentillesses, se roula autour du cou du capitaine, comme un foulard… Rose ne disait rien… Elle semblait agacée.

Alors, une idée infernale me traversa le cerveau.

— Je parie, dis-je tout à coup…, je parie, monsieur le capitaine, que vous ne mangez pas votre furet ?…

Le capitaine me regarda avec un étonnement profond, puis avec une tristesse infinie… Ses yeux devinrent tout ronds, ses lèvres tremblèrent.

— Kléber ?… balbutia-t-il… manger Kléber ?…

Évidemment, cette question ne s’était jamais posée devant lui, qui avait mangé de tout… C’était comme un monde nouveau, étrangement comestible, qui se révélait à lui…