Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/126

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mère ne serait peut-être pas morte si je n’avais pas obligé le capitaine à tuer le pauvre Kléber… J’ai eu beau me répéter que ma mère était morte avant le furet… Rien n’y a fait… et cette idée m’a poursuivie, toute la journée, comme un remords…

J’aurais bien voulu partir… Mais Audierne, c’est si loin… au bout du monde, quoi !… Et je n’ai pas d’argent… Quand je toucherai les gages de mon premier mois, il faudra que je paie le bureau ; je ne pourrai même pas rembourser les quelques petites dettes contractées durant les jours où j’ai été sur le pavé…

Et puis, à quoi bon partir ?… Mon frère est au service sur un bateau de l’État, en Chine, je crois, car voilà bien longtemps qu’on n’a reçu de ses nouvelles… Et ma sœur Louise ?… Où est-elle maintenant ?… Je ne sais pas… Depuis qu’elle nous quitta, pour suivre Jean le Duff à Concarneau, on n’a plus entendu parler d’elle… Elle a dû rouler, par ci, par là, le diable sait où !… Elle est peut-être en maison ; elle est peut-être morte, elle aussi. Et peut-être aussi que mon frère est mort…

Oui, pourquoi irais-je là-bas ?… À quoi cela m’avancerait-il ?… Je n’y ai plus personne, et ma mère n’a rien laissé, pour sûr… Les frusques et les quelques meubles qu’elle possédait ne paieront pas certainement l’eau-de-vie qu’elle doit…

C’est drôle, tout de même… Tant qu’elle vi-