Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/131

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lait de moi nulle part, ni de ma sœur, ni de mon frère… On s’écartait de nous dans les ruelles. Les honnêtes gens nous chassaient, à coups de pierre, des maisons où nous allions, tantôt marauder, tantôt mendier… Un jour, ma sœur Louise, qui faisait, elle aussi, une sale noce avec les matelots, s’enfuit… Et ce fut ensuite mon frère qui s’engagea mousse… Je restai seule avec ma mère…


À dix ans, je n’étais plus chaste. Initiée par le triste exemple de maman à ce que c’est que l’amour, pervertie par toutes les polissonneries auxquelles je me livrais avec les petits garçons, je m’étais développée physiquement très vite… Malgré les privations et les coups, mais sans cesse au grand air de la mer, libre et forte, j’avais tellement poussé, qu’à onze ans je connaissais les premières secousses de la puberté… Sous mon apparence de gamine, j’étais presque femme…

À douze ans, j’étais femme, tout à fait… et plus vierge… Violée ? Non, pas absolument… Consentante ? Oui, à peu près… du moins dans la mesure où le permettaient l’ingénuité de mon vice et la candeur de ma dépravation… Un dimanche, après la grand’messe, le contre-maître d’une sardinerie, un vieux, aussi velu, aussi mal odorant qu’un bouc, et dont le visage n’était qu’une broussaille sordide de barbe et de cheveux, m’entraîna sur la grève, du côté de Saint-Jean. Et là, dans une cachette de la falaise, dans