Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/136

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avec un bec de canard, l’autre avec une face de lapin, jaunes et maigres, anguleuses et fanées, se desséchaient sur place, ainsi que deux plantes à qui tout manque, le sol, l’eau, le soleil… Ils m’ennuyèrent énormément… Au bout de huit mois, je les envoyai promener, par un coup de tête que j’ai regretté…

Mais quoi !… J’entendais Paris respirer et vivre autour de moi… Son haleine m’emplissait le cœur de désirs nouveaux. Bien que je ne sortisse pas souvent, j’avais admiré avec un prodigieux étonnement, les rues, les étalages, les foules, les palais, les voitures éclatantes, les femmes parées… Et quand, le soir, j’allais me coucher au sixième étage, j’enviais les autres domestiques de la maison… et leurs farces que je trouvais charmantes… et leurs histoires qui me laissaient dans des surprises merveilleuses… Si peu de temps que je sois restée dans cette maison, j’ai vu là, le soir, au sixième, toutes les débauches, et j’en ai pris ma part, avec l’emportement, avec l’émulation d’une novice… Ah ! que j’en ai nourri alors des espoirs vagues et des ambitions incertaines, dans cet idéal fallacieux du plaisir et du vice…

Hé oui !… On est jeune… on ne connaît rien de la vie… on se fait des imaginations et des rêves… Ah, les rêves ! Des bêtises… J’en ai soupé, comme disait M. Xavier, un gamin joliment perverti, dont j’aurai à parler bientôt…