Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/137

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Et j’ai roulé… Ah ! ce que j’ai roulé… C’est effrayant quand j’y songe…

Je ne suis pas vieille, pourtant, mais j’en ai vu des choses, de près… j’en ai vu des gens tout nus… Et j’ai reniflé l’odeur de leur linge, de leur peau, de leur âme… Malgré les parfums, ça ne sent pas bon… Tout ce qu’un intérieur respecté, tout ce qu’une famille honnête peuvent cacher de saletés, de vices honteux, de crimes bas, sous les apparences de la vertu… ah ! je connais ça !… Ils ont beau être riches, avoir des frusques de soie et de velours, des meubles dorés ; ils ont beau se laver dans des machins d’argent et faire de la piaffe… je les connais !… Ça n’est pas propre… Et leur cœur est plus dégoûtant que ne l’était le lit de ma mère…

Ah ! qu’une pauvre domestique est à plaindre, et comme elle est seule !… Elle peut habiter des maisons nombreuses, joyeuses, bruyantes, comme elle est seule, toujours !… La solitude, ce n’est pas de vivre seule, c’est de vivre chez les autres, chez des gens qui ne s’intéressent pas à vous, pour qui vous comptez moins qu’un chien, gavé de pâtée, ou qu’une fleur, soignée comme un enfant de riche… des gens dont vous n’avez que les défroques inutiles ou les restes gâtés :

— Vous pouvez manger cette poire, elle est pourrie… Finissez ce poulet à la cuisine, il sent mauvais…

Chaque mot vous méprise, chaque geste vous