Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/143

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me disais : « Il va me rappeler, bien sûr… Et que va-t-il arriver ?… Ma foi !… » J’attendis quelques minutes… Plus un bruit,… sinon le bruit cristallin d’une goutte d’eau qui, de temps en temps, tombait dans le tub… « Il réfléchit, pensais-je… il n’ose pas se décider… mais il va me rappeler » … En vain… Bientôt l’eau ruisselle de nouveau… ensuite j’entendis que Monsieur s’essuyait, se frottait, s’ébrouait… et des glissements de savate traînèrent sur le parquet… des chaises remuèrent… des placards s’ouvrirent et se refermèrent… Enfin Monsieur recommença de chantonner :

Et allez donc, Mamz’elle Suzon !…
Et ron, ronron… petit patapon.

— Non, vraiment, il est trop bête !… murmurai-je, tout bas, dépitée et furieuse.

Et je me retirai, dans la lingerie, bien résolue à ne plus lui accorder jamais rien du bonheur que ma pitié, à défaut de mon désir, avait parfois rêvé de lui donner…

L’après-midi, Monsieur, très préoccupé, ne cessa de tourner autour de moi. Il me rejoignit à la basse-cour, au moment où j’allais porter au fumier les ordures des chats… Et comme, pour rire un peu de son embarras, je m’excusais de ce qui était arrivé le matin :

— Ça ne fait rien… souffla-t-il… ça ne fait rien… Au contraire…