Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/156

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avait l’air de renifler… Ce qu’on s’est amusé avec ça !

Ah ! cette gouvernante anglaise ! Jamais je n’ai rencontré dans ma vie une telle pocharde, et si drôle. Elle avait l’ivresse tendre, amoureuse, passionnée, surtout avec les femmes. Les vices qu’elle cachait à jeun sous un masque d’austérité comique se révélaient alors en toute leur beauté grotesque. Mais ils étaient plus cérébraux qu’actifs, et je n’ai pas entendu dire qu’elle les eût jamais réalisés. Selon l’expression de Madame, Miss se contentait de se « réaliser » elle-même… Vraiment, elle eût manqué à la collection d’humanité loufoque et déréglée qui illustrait cette maison bien moderne…

Une nuit, j’étais de service, attendant Madame. Tout le monde dormait dans l’hôtel, et je restais, seule, à sommeiller pesamment dans la lingerie… Vers deux heures du matin, Madame rentra. Au coup de sonnette, je me levai et trouvai Madame dans sa chambre. Les yeux sur le tapis, et se dégantant, elle riait à se tordre :

— Voilà, une fois encore, Miss complètement ivre… me dit-elle…

Et elle me montra la gouvernante, vautrée, les bras allongés, une jambe en l’air, et qui, geignant, soupirant, bredouillait des paroles inintelligibles…

— Allons, fit Madame, relevez-la et allez la coucher…