Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/17

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trouvai l’air répugnant d’une vieille maquerelle. C’était une grosse femme, grosse et courte, courte et soufflée de graisse jaunâtre, avec des bandeaux plats grisonnants, une poitrine énorme et roulante, des mains molles, humides, transparentes comme de la gélatine. Ses yeux gris indiquaient la méchanceté, une méchanceté froide, réfléchie et vicieuse. À la façon tranquille et cruelle dont elle vous regardait, vous fouillait l’âme et la chair, elle vous faisait presque rougir.

Elle me conduisit dans un petit salon et me quitta aussitôt, disant qu’elle allait prévenir Monsieur, que Monsieur voulait me voir avant que je ne commençasse mon service.

— Car Monsieur ne vous a pas vue, ajouta-t-elle. Je vous ai prise, c’est vrai, mais enfin, il faut que vous plaisiez à Monsieur…

J’inspectai la pièce. Elle était tenue avec une propreté et un ordre extrêmes. Les cuivres, les meubles, le parquet, les portes, astiqués à fond, cirés, vernis, reluisaient ainsi que des glaces. Pas de flafla, de tentures lourdes, de choses brodées, comme on en voit dans de certaines maisons de Paris ; mais du confortable sérieux, un air de décence riche, de vie provinciale cossue, régulière et calme. Ce qu’on devait s’ennuyer ferme, là-dedans, par exemple !… Mazette !

Monsieur entra. Ah ! le drôle de bonhomme, et qu’il m’amusa !… Figurez-vous un petit vieux, tiré à quatre épingles, rasé de frais et tout rose,