Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/19

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— Vous en avez d’autres ?… me demanda-t-il, après un court silence, pendant lequel il me sembla que son regard était devenu étrangement brillant.

— D’autres noms, Monsieur ?

— Non, mon enfant, d’autres bottines…

Et il passa, sur ses lèvres, à petits coups, une langue effilée, à la manière des chattes.

Je ne répondis pas tout de suite. Ce mot de bottines, qui me rappelait l’expression de gouaille polissonne du cocher, m’avait interdite. Cela avait donc un sens ?… Sur une interrogation plus pressante, je finis par répondre, mais d’une voix un peu rauque et troublée, comme s’il se fût agi de confesser un péché galant :

— Oui, Monsieur, j’en ai d’autres…

— Des vernies ?

— Oui, Monsieur.

— De très… très vernies ?

— Mais oui, Monsieur.

— Bien… bien… Et en cuir jaune ?

— Je n’en ai pas, Monsieur…

— Il faudra en avoir… je vous en donnerai.

— Merci, Monsieur !

— Bien… bien… Tais-toi !

J’avais peur, car il venait de passer dans ses yeux des lueurs troubles… des nuées rouges de spasme… Et des gouttes de sueur roulaient sur son front… Croyant qu’il allait défaillir, je fus sur le point de crier, d’appeler au secours… mais la