Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/194

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une protection… Et il me dit, ses yeux pleins d’extase :

— Je suis heureux… Maintenant, je puis mourir…

Et comme je me désespérais, comme je maudissais ma faiblesse :

— Je suis heureux… répéta-t-il… Oh ! reste avec moi… ne me quitte pas de toute la nuit. Seul, vois-tu, il me semble que je ne pourrais pas supporter la violence, pourtant si douce, de mon bonheur…

Pendant que je l’aidais à se coucher, il eut une crise de toux… Elle fut courte heureusement… Mais si courte qu’elle fût, j’en eus l’âme déchirée… Est-ce qu’après l’avoir soulagé et guéri, j’allais le tuer, désormais ?… Je crus que je ne pourrais pas retenir mes larmes… Et je me détestai…

— Ce n’est rien… ce n’est rien… fit-il, en souriant… Il ne faut pas te désoler, puisque je suis si heureux… Et puis, je ne suis pas malade… je ne suis pas malade… Tu vas voir comme je vais bien dormir contre toi… Car, je veux dormir, comme si j’étais ton petit enfant, entre tes seins… ma tête entre tes seins…

— Et si votre grand’mère me sonnait, cette nuit, monsieur Georges ?…

— Mais non… mais non… grand’mère ne sonnera pas… Je veux dormir contre toi…

Certains malades ont une puissance amoureuse