Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/206

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leuse, comme à la reprise d’une habitude perdue… Pour tout dire, je me reconnus, je reconnus ma vie et mon âme en ces paupières fripées, en ce visage glabre, en ces lèvres rasées qui accusent le même rictus servile, le même pli de mensonge, le même goût de l’ordure passionnelle, chez le comédien, le juge et le valet…

Après le dîner, nous flânâmes quelque temps sur les boulevards… Puis il me paya une tournée de cinématographe. J’étais un peu molle d’avoir bu trop de vin de Saumur. Dans le noir de la salle, pendant que, sur la plaque lumineuse, l’armée française défilait, aux applaudissements de l’assistance, il m’empoigna la taille et me donna, sur la nuque, un baiser qui faillit me décoiffer.

— Tu es épatante… souffla-t-il… Ah ! nom d’un chien !… ce que tu sens bon…

Il m’accompagna jusqu’à mon hôtel et nous restâmes là, quelques minutes, sur le trottoir, silencieux, un peu bêtes… Lui, du bout de sa canne, tapait la pointe de ses bottines… Moi, la tête penchée, les coudes au corps, les mains dans mon manchon, j’écrasais, sous mes pieds, une peau d’orange…

— Eh bien, au revoir ! lui dis-je…

— Ah ! non, fit-il… laisse-moi monter avec toi… Voyons, Célestine ?

Je me défendis, vaguement, pour la forme… il insista :