Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tuelle, en allant ouvrir les fenêtres, je faillis m’évanouir d’horreur, dans la chambre… Monsieur était mort !… Étendu sur le dos, au milieu du lit, le corps presque entièrement nu, on sentait déjà en lui et sur lui la rigidité du cadavre. Il ne s’était point débattu. Sur les couvertures, nul désordre ; sur le drap, pas la moindre trace de lutte, de soubresaut, d’agonie, de mains crispées qui cherchent à étrangler la Mort… Et j’aurais cru qu’il dormait, si son visage n’eût été violet, violet affreusement, de ce violet sinistre qu’ont les aubergines. Spectacle terrifiant, qui, plus encore que ce visage, me secoua d’épouvante… Monsieur tenait, serrée dans ses dents, une de mes bottines, si durement serrée dans ses dents, qu’après d’inutiles et horribles efforts je fus obligée d’en couper le cuir, avec un rasoir, pour la leur arracher…

Je ne suis pas une sainte… j’ai connu bien des hommes et je sais, par expérience, toutes les folies, toutes les saletés dont ils sont capables… Mais un homme comme Monsieur ?… Ah ! vrai !… Est-ce rigolo, tout de même, qu’il existe des types comme ça ?… Et où vont-ils chercher toutes leurs imaginations, quand c’est si simple, quand c’est si bon de s’aimer gentiment… comme tout le monde…


Je crois bien qu’ici il ne m’arrivera rien de pareil… C’est, évidemment, un autre genre ici.