Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/220

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se résigner à une aussi morne existence ?… Il m’arrive, parfois, de m’interroger sur Monsieur ?… Qu’est-ce que j’aurais fait de lui ?… Il n’a pas d’argent et ne m’eût pas donné de plaisir. Et puisque Madame n’est pas jalouse !…

Ce qui est terrible dans cette maison, c’est son silence. Je ne peux m’y faire… Pourtant, malgré moi, je m’habitue à glisser mes pas, à « marcher en l’air », comme dit Joseph… Souvent, dans ces couloirs sombres, le long de ces murs froids, je me fais, à moi-même, l’effet d’un spectre, d’un revenant. J’étouffe, là-dedans… Et je reste !…

Ma seule distraction est d’aller, le dimanche, au sortir de la messe, chez Mme Gouin, l’épicière… Le dégoût m’en éloigne, mais l’ennui, plus fort, m’y ramène. Là, du moins, on se retrouve, toutes ensemble… On potine, on rigole, on fait du bruit, en sirotant des petits verres de mêlé-cassis… Il y a là, un peu, l’illusion de la vie… Et le temps passe… L’autre dimanche, je n’ai pas vu la petite, aux yeux suintants, au museau de rat… Je m’informe…

— Ce n’est rien… ce n’est rien… me dit l’épicière d’un ton qu’elle veut rendre mystérieux.

— Elle est donc malade ?…

— Oui… mais ce n’est rien… Dans deux jours, il n’y paraîtra plus…

Et mam’zelle Rose me regarde, avec des yeux qui confirment, et qui semblent dire :

— Ah ! Vous voyez bien !… C’est une femme très adroite…