Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/224

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Mme Gouin, restée songeuse, finit par déclarer de sa voix blanche :

— Ah ! dame, Mesdemoiselles… ces choses-là… on ne sait jamais… Pour la petite Jésureau… c’est une fameuse chance, je vous assure, qu’il ne l’ait pas tuée…

Malgré l’autorité de l’épicière… malgré l’entêtement de Rose, qui n’admet pas qu’on déplace la question, elles passent, l’une après l’autre, la revue de tous les gens du pays qui auraient pu faire le coup… Il se trouve qu’il y en a des tas… tous ceux-là qu’elles détestent, tous ceux-là contre qui elles ont une jalousie, une rancune, un dépit… Enfin, la petite femme pâle au museau de rat propose :

— Vous savez bien qu’il est venu, la semaine dernière, deux capucins qui n’avaient pas bon air, avec leurs sales barbes, et qui mendiaient partout ?… Est-ce que ce ne serait pas eux ?…

On s’indigne :

— De braves et pieux moines !… De saintes âmes du bon Dieu !… C’est abominable…

Et, tandis que nous nous en allons, ayant soupçonné tout le monde, Rose, acharnée, répète :

— Puisque je vous le dis, moi… Puisque c’est lui.


Avant de rentrer, je m’arrête un instant à la sellerie, où Joseph astique ses harnais… Au-dessus d’un dressoir, où sont symétriquement ran-