Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/225

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gées des bouteilles de vernis et des boîtes de cirage, je vois flamboyer aux lambris de sapin le portrait de Drumont… Pour lui donner plus de majesté, sans doute, Joseph l’a récemment orné d’une couronne de laurier-sauce. En face, le portrait du pape disparaît, presque entièrement caché, sous une couverture de cheval pendue à un clou. Des brochures antijuives, des chansons patriotiques s’empilent sur une planche, et dans un coin la matraque se navre parmi les balais.

Brusquement, je dis à Joseph, sans un autre motif que la curiosité :

— Savez-vous, Joseph, qu’on a trouvé dans la forêt la petite Claire assassinée et violée ?

Tout d’abord, Joseph ne peut réprimer un mouvement de surprise — est-ce bien de la surprise ?… Si rapide, si furtif qu’ait été ce mouvement, il me semble qu’au nom de la petite Claire il a eu comme une étrange secousse, comme un frisson… Il se remet très vite.

— Oui, dit-il d’une voix ferme… je sais… On m’a conté ça, au pays, ce matin…

Il est maintenant indifférent et placide. Il frotte ses harnais avec un gros torchon noir, méthodiquement. J’admire la musculature de ses bras nus, l’harmonieuse et puissante souplesse de ses biceps… la blancheur de sa peau. Je ne vois pas ses yeux sous les paupières rabaissées, ses yeux obstinément fixés sur son ouvrage. Mais je vois sa bouche… toute sa bouche large… son énorme