Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/226

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mâchoire de bête cruelle et sensuelle… Et j’ai comme une étreinte légère au cœur… Je lui demande encore :

— Sait-on qui a fait le coup ?…

Joseph hausse les épaules… Moitié railleur, moitié sérieux, il répond :

— Quelques vagabonds, sans doute… quelques sales youpins…

Puis, après un court silence :

— Puuutt !… Vous verrez qu’on ne les pincera pas… Les magistrats, c’est tous des vendus.

Il replace sur leurs selles les harnais terminés, et désignant le portrait de Drumont, dans son apothéose de laurier-sauce, il ajoute :

— Si on avait celui-là ?… Ah ! malheur !

Je ne sais pourquoi, par exemple, je l’ai quitté, l’âme envahie par un singulier malaise…

Enfin, avec cette histoire, on va donc avoir de quoi parler et se distraire un peu…


Quelquefois, quand Madame est sortie et que je m’ennuie trop, je vais à la grille sur le chemin où Mlle  Rose vient me retrouver… Toujours en observation, rien ne lui échappe de ce qui se passe chez nous, de ce qui y entre ou en sort. Elle est plus rouge, plus grasse, plus molle que jamais. Les lippes de sa bouche pendent davantage, son corsage ne parvient plus à contenir les houles déferlantes de ses seins… Et de plus en plus elle est hantée d’idées obscènes… Elle ne voit que ça,