Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/233

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Elle qui ne croit à personne, elle croit à Joseph, à l’honnêteté de Joseph, au dévouement de Joseph.

— Une perle !… Il se jetterait au feu pour nous, dit-elle.

Et, malgré son avarice, elle l’accable de menues générosités et de petits cadeaux.

Pourtant, je me méfie de cet homme. Cet homme m’inquiète et, en même temps, il m’intéresse prodigieusement. Souvent, j’ai vu des choses effrayantes passer dans l’eau trouble, dans l’eau morte de ses yeux… Depuis que je m’occupe de lui, il ne m’apparaît plus tel que je l’avais jugé tout d’abord à mon entrée dans cette maison, un paysan grossier, stupide et pataud. J’aurais dû l’examiner plus attentivement. Maintenant, je le crois singulièrement fin et retors, et même mieux que fin, pire que retors… je ne sais comment m’exprimer sur lui… Et puis, est-ce l’habitude de le voir, tous les jours ?… Je ne le trouve plus si laid, ni si vieux… L’habitude agit comme une atténuation, comme une brume, sur les objets et sur les êtres. Elle finit, peu à peu, par effacer les traits d’un visage, par estomper les déformations ; elle fait qu’un bossu avec qui l’on vit quotidiennement n’est plus, au bout d’un certain temps, bossu… Mais il y a autre chose ; il y a tout ce que je découvre en Joseph de nouveau et de profond… et qui me bouleverse. Ce n’est pas l’harmonie des traits, ni la pureté des lignes qui crée