Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/241

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nant le journal qu’il avait posé sur la table, se remet à lire le plus tranquillement du monde…

Moi, je me suis remise à songer… Je voudrais retrouver dans la vie de Joseph, depuis que je suis ici, un trait de férocité active… Sa haine des juifs, la menace que sans cesse il exprime de les supplicier, de les tuer, de les brûler, tout cela n’est peut-être que de la hâblerie… c’est surtout de la politique… Je cherche quelque chose de plus précis, de plus formel, à quoi je ne puisse pas me tromper sur le tempérament criminel de Joseph. Et je ne trouve toujours que des impressions vagues et morales, des hypothèses auxquelles mon désir ou ma crainte qu’elles soient d’irrécusables réalités donne une importance et une signification que, sans doute, elles n’ont pas… Mon désir ou ma crainte ?… De ces deux sentiments, j’ignore lequel me pousse…

Si, pourtant… Voici un fait… un fait réel… un fait horrible… un fait révélateur… Celui-là, je ne l’invente pas… je ne l’exagère pas… je ne l’ai pas rêvé… il est bien tel qu’il est… Joseph est chargé de tuer les poulets, les lapins, les canards. Il tue les canards, selon une antique méthode normande, en leur enfonçant une épingle dans la tête… Il pourrait les tuer, d’un coup, sans les faire souffrir. Mais il aime à prolonger leur supplice par de savants raffinements de torture ; il aime à sentir leur chair frissonner, leur cœur battre dans ses mains ; il aime à suivre, à compter, à re-