Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/250

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Alors, d’une voix basse, chuchotée :

— Peut-être quinze mille francs… peut-être plus…

— Mazette !… vous êtes calé, vous !…

— Oh ! peut-être moins aussi… On ne sait pas…

Tout à coup, les deux chiens, simultanément, dressèrent la tête, bondirent vers la porte et se mirent à aboyer. Je fis un geste d’effroi…

— Ça n’est rien… rassura Joseph, en leur envoyant à chacun un coup de pied dans les flancs… c’est des gens qui passent dans le chemin… Et, tenez, c’est la Rose qui rentre chez elle… Je reconnais son pas.

En effet, quelques secondes après, j’entendis un bruit de pas traînant sur le chemin, puis un bruit plus lointain de barrière refermée… Les chiens se turent.

Je m’étais assise sur un escabeau, dans un coin de la sellerie. Joseph, les mains dans ses poches, se promenait dans l’étroite pièce où son coude heurtait aux lambris de sapin des lanières de cuir… Nous ne parlions plus, moi horriblement gênée, et regrettant d’être venue. Joseph visiblement tourmenté de ce qu’il avait encore à me dire. Au bout de quelques minutes, il se décida :

— Faut que je vous confie encore une chose, Célestine… Je suis de Cherbourg… Et Cherbourg, c’est une rude ville, allez… pleine de marins, de