Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/28

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À chaque minute, en me montrant quelque chose, Madame me disait :

— Il faudra faire bien attention à ça, ma fille. C’est très joli, ça, ma fille… C’est très rare, ma fille… Ça coûte très cher, ma fille.

Elle ne pourrait donc pas m’appeler par mon nom, au lieu de dire, tout le temps : « ma fille » par ci… « ma fille » par là, sur ce ton de domination blessante, qui décourage les meilleures volontés et met aussitôt tant de distance, tant de haines, entre nos maîtresses et nous ?… Est-ce que je l’appelle : « la petite mère », moi ?… Et puis, Madame n’a dans la bouche que ce mot : « très cher ». C’est agaçant… Tout ce qui lui appartient, même de pauvres objets de quatre sous, « c’est très cher ». On n’a pas idée où la vanité d’une maîtresse de maison peut se nicher… Si ça ne fait pas pitié…, elle m’a expliqué le fonctionnement d’une lampe à pétrole, pareille d’ailleurs à toutes les autres lampes, et elle m’a recommandé :

— Ma fille, vous savez que cette lampe coûte très cher, et qu’on ne peut la réparer qu’en Angleterre. Ayez-en soin, comme de la prunelle de vos yeux…

J’ai eu envie de lui répondre :

— Hé ! dis donc, la petite mère, et ton pot de chambre… est-ce qu’il coûte très cher ?… Et l’envoie-t-on à Londres quand il est fêlé ?

Non, là, vrai !… Elles en ont du toupet, et elles