Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/283

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tion ne put être reprise… si bien que l’un après l’autre, les invités s’excusèrent, s’esquivèrent. À onze heures, tout le monde était parti.

Quand ils se retrouvèrent, en face l’un de l’autre, seuls, Monsieur et Madame se regardèrent longtemps, fixement, hostilement, avant d’échanger leurs impressions.

— Pour un joli ratage, tu sais… c’est un joli ratage… exprima Monsieur.

— C’est de ta faute… reprocha aigrement Madame…

— Ah ! elle est bonne celle-là…

— Oui, de ta faute… Tu ne t’es occupé de rien… tu n’as fait que rouler de sales boulettes de pain, entre tes gros doigts. On ne pouvait pas te tirer une parole… Ce que tu étais ridicule !… C’est honteux…

— Eh bien, je te conseille de parler… riposta Monsieur… Et ta toilette verte… et tes sourires… et tes gaffes avec Sartorys… C’est moi, peut-être ?… Moi aussi, sans doute qui raconte la douleur de Pinggleton… moi qui mange des confitures canaques, moi qui peins des âmes… moi qui suis pédéraste et lilial ?…

— Tu n’es même pas capable de l’être !… cria Madame, au comble de l’exaspération…

Ils s’injurièrent longtemps. Et Madame, après avoir rangé l’argenterie et les bouteilles entamées, dans le buffet, prit le parti de se retirer en sa chambre, où elle s’enferma.