Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/289

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— Et du reste… permettez-moi de vous le dire… conclut le magistrat… il est bien improbable… il est tout à fait inadmissible qu’un vaillant soldat… un officier intrépide qui a gagné tous ses grades sur les champs de bataille, s’amuse à lancer des pierres et de vieux chapeaux dans votre propriété, comme un gamin…

— Parbleu !… vocifère le capitaine… Cet homme est un infâme dreyfusard… Il insulte l’armée…

— Moi ?

— Oui, vous !… Ce que vous cherchez, sale juif, c’est de déshonorer l’armée… Vive l’armée !…

Ils ont failli se prendre aux cheveux et le juge a eu beaucoup de peine à les séparer… Depuis, Monsieur a installé en permanence, dans le jardin, deux témoins invisibles derrière une sorte d’abri en planches où sont percés, à hauteur d’homme, quatre trous ronds, pour les yeux. Mais le capitaine averti s’est tenu tranquille et Monsieur en est pour ses frais…


J’ai vu le capitaine deux ou trois fois, par-dessus la haie… Malgré la gelée, il ne quitte pas de la journée son jardin où il travaille à toute sorte de choses, avec acharnement. Pour l’instant, il encapuchonne ses rosiers de gros bonnets de papier huilé… Il me conte ses malheurs…. Rose souffre d’une attaque d’influenza, et dame… avec son asthme !… Bourbaki est mort… Il est