Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/351

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

versité… Cléclé était charmante, toute blonde, toute rose et délurée… et d’une vivacité, d’une gaîté !… Elle riait de tout, acceptait tout, se trouvait bien partout. Dévouée et fidèle, elle n’avait qu’un plaisir : rendre service. Vicieuse jusque dans les moelles, son vice n’avait rien de répugnant, à force d’être gai, ingénu, naturel. Elle portait le vice comme une plante des fleurs, comme un cerisier des cerises… Son bavardage de gentil oiseau me fit oublier quelques jours mes embêtements, endormit mes révoltes… Comme nos deux lits étaient l’un près de l’autre, nous nous mîmes ensemble, dès la seconde nuit… Qu’est-ce que vous voulez ?… L’exemple, peut-être… et, peut-être aussi le besoin de satisfaire une curiosité qui me trottait par la tête, depuis longtemps… C’était, du reste, la passion de Cléclé… depuis qu’elle avait été débauchée, il y a plus de quatre ans, par une de ses maîtresses, la femme d’un général…

Une nuit que nous étions couchées ensemble elle me raconta à voix basse, avec de drôles de chuchotements, qu’elle sortait de chez un magistrat, à Versailles :

— Figure-toi qu’il n’y avait que des bêtes dans la turne… des chats, trois perroquets… un singe… deux chiens… Et il fallait soigner tout ça… Rien n’était assez bon pour eux… Nous, tu penses, on nous collait de vieux rogatons, kif-kif à la boîte… Eux, c’étaient des restes de volaille,